Gel et confiscation des instruments et des produits du crime dans l'Union européenne
OBJECTIF : établir un cadre juridique pour le gel et la confiscation des produits du crime dans lUnion européenne.
ACTE PROPOSÉ : Directive du Parlement européen et du Conseil.
CONTEXTE : selon des estimations des Nations unies, le montant total des produits du crime à l'échelle mondiale a atteint près de 2.100 milliards d'USD en 2009, soit 3,6% du PIB mondial. Au niveau de lUE, il n'existe pas d'estimation fiable de l'ampleur des gains d'origine criminelle, mais la Banque d'Italie estime à 150 milliards EUR les produits de la criminalité organisée qui ont été blanchis en 2011 dans ce pays.
De manière générale, les gains tirés des activités illégales sont blanchis et réinvestis dans des activités légales. Les groupes criminels organisés dissimulent et réinvestissent une fraction croissante de ces avoirs dans des États membres autres que celui dans lequel linfraction est perpétrée, ce qui affaiblit la capacité à combattre la grande criminalité organisée transfrontière sur le territoire de l'UE.
Il convient donc que les États membres se dotent dun régime efficace de gel, de gestion et de confiscation des avoirs dorigine criminelle car même si un dispositif existe déjà au niveau européen et national, la confiscation des avoirs d'origine criminelle reste insuffisamment développée et nest pas mise en uvre autant quelle pourrait lêtre.
Parce qu'elle est un outil efficace dans la lutte contre la grande criminalité organisée, la confiscation des avoirs d'origine criminelle s'est vue accorder une priorité stratégique au niveau de l'UE. Le programme de Stockholm de 2009 demande ainsi aux États membres et à la Commission de rendre plus efficace la confiscation des avoirs d'origine criminelle et de renforcer la coopération entre les bureaux de recouvrement des avoirs.
Dans une série de conclusions, le Conseil a également appelé Commission à réfléchir à un durcissement du cadre juridique, qui permette de mettre en place des dispositifs plus efficaces de confiscation des avoirs de tiers et de confiscation élargie.
Pour sa part, le Parlement européen a adopté un rapport dinitiative sur la criminalité organisée, qui invite la Commission à présenter de nouveaux textes législatifs dans ce domaine.
Cest dans ce contexte que la Commission a proposé une stratégie de sécurité intérieure de l'UE dans laquelle elle sengage à présenter une proposition législative destinée à durcir le cadre juridique de l'UE en matière de confiscation, notamment en autorisant davantage la confiscation des avoirs de tiers et la confiscation élargie. La Commission sest également engagée à poursuivre sa réflexion sur les possibilités de renforcer la reconnaissance mutuelle des décisions de gel et de confiscation entre États membres. À terme, toutes les décisions de gel et de confiscation rendues par un État membre devraient être effectivement appliquées à des avoirs situés dans un autre État membre.
Á noter que la plupart des définitions et certaines dispositions de base de la présente proposition de directive sinspire de textes déjà existant au niveau européen, en particulier :
- la décision-cadre 2001/500/JAI qui fait obligation aux États membres de permettre la confiscation et de veiller à ce que les demandes émanant des autres États membres soient traitées avec le même degré de priorité que celui accordé aux procédures intérieures;
- la décision-cadre 2005/212/JAI qui harmonise les lois en matière de confiscation ;
- la décision-cadre 2003/577/JAI, qui prévoit la reconnaissance mutuelle des décisions de gel;
- la décision-cadre 2006/783/JAI, qui prévoit la reconnaissance mutuelle des décisions de confiscation;
- la décision 2007/845/JAI du Conseil relative à la coopération entre les bureaux de recouvrement des avoirs des États membres.
ANALYSE DIMPACT : l'analyse d'impact a passé en revue plusieurs options correspondant à différents degrés d'intervention de l'UE:
- Option 0 : option non législative ;
- Option 1 : option législative a minima corrigeant les défauts du cadre juridique existant de lUE qui lempêchent de fonctionner comme le législateur lentendait ;
- Option 2 : option législative a maxima dépassant les objectifs dudit cadre juridique. Au titre de cette dernière, deux sous-options législatives a maxima ont été analysées, l'une incluant, lautre excluant, l'action au niveau de lUE en matière de reconnaissance mutuelle des décisions de gel et de confiscation entre États membres.
La formule privilégiée est l'option législative a maxima. Cette option renforcerait considérablement l'harmonisation des règles nationales en matière de confiscation et d'exécution des décisions, notamment en modifiant les dispositions existantes sur la confiscation élargie et en introduisant de nouvelles dispositions concernant la confiscation en l'absence de condamnation et la confiscation des avoirs de tiers, ainsi que des règles plus efficaces pour la reconnaissance mutuelle des décisions de gel et de confiscation.
BASE JURIDIQUE : article 82, par. 2, et article 83, par. 1 du traité sur le fonctionnement de lUnion européenne (TFUE).
CONTENU : la présente proposition de directive établit des règles minimales relatives au gel de biens en vue de leur éventuelle confiscation ultérieure et à la confiscation de biens en matière pénale. La directive ne prévoit que des règles minimales (les dispositions législatives nationales peuvent être plus ambitieuses). L'adoption de ces règles minimales fera progresser l'harmonisation des régimes en vigueur dans les États membres et, partant, renforcera la confiance mutuelle et l'efficacité de la coopération transfrontière.
Confiscation : se fondant sur les dispositions existantes de la décision-cadre 2005/212/JAI et de la décision-cadre 2001/500/JAI, la proposition prévoit que les États membres permettent la confiscation des instruments et produits du crime à la suite d'une condamnation définitive et de permettre la confiscation de biens dont la valeur équivaut à celle des produits du crime.
Pouvoirs de confiscation élargis : conformément à la proposition de directive, on entend par «confiscation élargie» la possibilité de confisquer des avoirs excédant les produits directs d'une infraction. Une condamnation pénale peut être suivie d'une confiscation (élargie) non seulement des avoirs liés à cette infraction précise, mais aussi d'autres avoirs qui, de l'avis du tribunal saisi, sont les produits d'autres infractions similaires. La décision-cadre 2005/212/JAI prévoit déjà des pouvoirs de confiscation élargis en vertu desquels les États membres sont tenus de permettre la confiscation d'avoirs détenus directement ou indirectement par des personnes condamnées pour certaines infractions graves (en rapport avec la criminalité organisée et des activités terroristes). Cependant, la décision-cadre se cantonne à un ensemble minimal de règles facultatives, en laissant aux États membres la liberté d'appliquer une option, deux options ou l'ensemble des trois options. La présente proposition prévoit au contraire la confiscation élargie pour les infractions énumérées à l'article 83, par. 1, du TFUE, telles que définies dans la législation existante de l'UE.
Elle simplifie également le régime actuel des règles facultatives en matière de confiscation élargie en prévoyant une norme minimale unique. La confiscation élargie peut avoir lieu lorsqu'un tribunal constate, sur la base d'éléments factuels précis, qu'une personne reconnue coupable dune infraction prévue par la directive est en possession d'avoirs dont il est plus que probable qu'ils proviennent dactivités criminelles de nature ou de gravité similaires.
La confiscation élargie est exclue lorsque les activités criminelles similaires ne pourraient pas faire l'objet dune procédure pénale en raison de la prescription au titre du droit pénal interne. La proposition exclut également de la confiscation les produits d'activités criminelles présumées pour lesquelles la personne concernée a été définitivement acquittée au cours d'un procès antérieur ou dans d'autres cas dapplication du principe non bis in idem.
Confiscation en l'absence de condamnation : ce type de disposition porte sur la confiscation sans condamnation, applicable dans certaines hypothèses limitées, afin de régler les cas dans lesquels il est impossible dengager des poursuites pénales. Il porte donc sur la confiscation afférente à une infraction pénale, mais permet aux États membres de choisir la juridiction - pénale et/ou civile/administrative - tenue dordonner la confiscation. Les procédures menées sans condamnation permettent de geler et de confisquer un avoir sans que son propriétaire ait été préalablement condamné par un tribunal pénal.
Afin de satisfaire à lexigence de proportionnalité, la proposition n'autoriserait pas dans tous les cas la confiscation en l'absence de condamnation, mais uniquement lorsqu'une condamnation pénale ne peut être obtenue en raison du décès du suspect ou de sa maladie permanente, ou lorsque sa fuite ou sa maladie empêchent lexercice de poursuites effectives dans un délai raisonnable et comportent un risque d'extinction de l'action publique du fait de la prescription.
Confiscation des avoirs de tiers : dès quils font lobjet dune enquête, les criminels transfèrent souvent leurs avoirs à des tiers quils connaissent afin déviter de se les voir confisquer. On entend par «confiscation des avoirs de tiers» la confiscation d'avoirs qui ont été transférés à des tiers par une personne faisant l'objet d'une enquête ou ayant été condamnée. Les dispositions nationales relatives à la confiscation des avoirs des tiers diffèrent d'un État membre à l'autre, ce qui entrave la reconnaissance mutuelle des décisions de gel et de confiscation d'avoirs transférés à un tiers. Afin de satisfaire à lexigence de proportionnalité et de protéger la situation d'un tiers acquérant un bien de bonne foi, les dispositions harmonisées minimales introduites par la proposition ne prévoient pas systématiquement la confiscation des avoirs de tiers. Cette disposition prévoit que la confiscation des avoirs de tiers doit être possible pour les produits du crime ou d'autres biens du défendeur qui ont été obtenus à un prix inférieur à celui du marché et qu'une personne raisonnable dans la situation du tiers soupçonnerait de provenir d'une infraction ou dêtre transférés afin d'échapper à l'application de mesures de confiscation. Il précise, afin d'éviter des décisions arbitraires, que le critère de la personne raisonnable doit s'apprécier au regard de circonstances et faits concrets. La confiscation des avoirs de tiers ne devrait, en outre, être possible qu'après vérification, sur la base d'éléments factuels précis, que la confiscation des biens de la personne condamnée, soupçonnée ou accusée na guère de chance daboutir, ou lorsque des objets uniques doivent être restitués à leur propriétaire légitime.
Gel : cette disposition fait obligation aux États membres de permettre le gel de biens ou d'instruments qui risquent d'être dissipés, dissimulés ou transférés hors de leur ressort, en vue de leur éventuelle confiscation ultérieure. Il précise que de telles mesures doivent être ordonnées par un tribunal. L'introduction de la possibilité d'utiliser ce pouvoir en cas d'urgence afin de prévenir la dissipation des avoirs dans des situations où l'attente d'une décision de justice compromettrait l'effectivité de la mesure de gel est une priorité de longue date des procureurs et des organes répressifs. L'article exige donc des États membres qu'ils aient adopté des mesures pour faire en sorte que les avoirs risquant d'être dissipés, dissimulés ou transférés hors de leur ressort puissent être gelés immédiatement par les autorités compétentes avant quune décision de justice ne soit sollicitée ou dans l'attente de celle-ci.
Garanties : selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et la charte des droits fondamentaux de l'Union, les droits fondamentaux tels quel le droit de propriété ne sont pas des droits absolus. Ils peuvent légitimement être soumis à des restrictions pourvu que celles-ci soient prévues par la loi et répondent à des objectifs d'intérêt général ou à la nécessité de protéger les droits et les libertés dautrui, comme dans le cadre de la prévention de la criminalité organisée. Dans la mesure où les décisions de gel ou de confiscation empiètent sur le droit de propriété ou d'autres droits fondamentaux, elles doivent pouvoir être contestées par les parties concernées dans les conditions énoncées au présent article.
Selon la législation existante de l'UE (notamment décision-cadre 2005/212/JAI), les États membres font en sorte que leur législation nationale prévoie des possibilités de recours suffisantes pour les personnes concernées. Afin de se conformer entièrement à la Charte des droits fondamentaux, la proposition instaure des garanties minimales au niveau de l'UE.
Celles-ci visent à garantir :
- le respect de la présomption d'innocence,
- le droit à accéder à un tribunal impartial,
- l'existence de recours juridictionnels effectifs,
- le droit à être informé de la manière d'exercer ceux-ci.
Détermination de l'ampleur de la confiscation et exécution effective : les personnes soupçonnées d'appartenir à des organisations criminelles sont passées maîtres dans la dissimulation de leurs avoirs. Dans le cas où une décision de confiscation a été émise mais n'a pu être exécutée parce qu'aucun bien à confisquer n'a été découvert ou seulement en quantité insuffisante, cet article exige des États membres qu'ils autorisent la tenue d'une enquête sur le patrimoine de la personne. Cette disposition répond au problème de la prescription des activités de confiscation à lissue de la procédure pénale, en permettant que des décisions de confiscation non exécutées ou partiellement exécutées s'appliquent à des avoirs précédemment dissimulés qui ont «refait surface» entre-temps.
Gestion des biens gelés : cette disposition entend faciliter la gestion des biens gelés en vue de leur éventuelle confiscation ultérieure. Elle fait obligation aux États membres d'introduire des mesures visant à assurer une gestion adéquate de ces biens, notamment en accordant le pouvoir de réaliser les biens gelés, au moins lorsque ceux-ci risquent de se déprécier ou de devenir trop coûteux à conserver.
Efficacité et obligations d'information : cette disposition introduit des obligations d'information à la charge des États membres, qui devraient aider à élaborer des statistiques qui seront utilisées à des fins d'évaluation.
INCIDENCE BUDGÉTAIRE : la proposition n'a aucune incidence sur le budget de l'UE. Elle ne concerne pas l'allocation budgétaire du produit des confiscations.